Chez le chien, comme chez l'humain, le développement comportemental ne débute pas à la naissance. Il commence bien avant, in utero, sous l'influence directe de l'état physiologique et émotionnel de la mère. Pourtant, cette phase prénatale reste largement ignorée dans les discours dominants, focalisés sur l'éducation post-adoption. Cet angle mort fausse le diagnostic, alimente des malentendus, et réduit l'efficacité des interventions éducatives.
Une phase de programmation comportementale
Durant la gestation, le fœtus canin est exposé aux hormones circulantes de sa mère. En cas de stress chronique (isolement, conflits sociaux, carences…), le cortisol traverse la barrière placentaire et modifie l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) du fœtus, un système clé dans la gestion du stress (Kaiser et al., 2003 ; Braastad, 1998). Cette exposition induit une sensibilité accrue, une réactivité exacerbée, et une plasticité cérébrale réduite, même si l’environnement postnatal est sain.
Guardini et al. (2015) ont montré que des chiots nés de mères stressées sont plus anxieux, moins explorateurs et plus dépendants.
Empreintes épigénétiques et construction neurologique
L'influence prénatale s’exerce aussi au niveau moléculaire. Des travaux comme ceux de Meaney et al. (2005) ont mis en évidence des modifications épigénétiques : le stress maternel modifie l'expression de certains gènes chez le fœtus, sans altérer l'ADN. Ces altérations affectent durablement les circuits cérébraux impliqués dans la gestion des émotions. Le chiot naît donc avec une vulnérabilité préinstallée.
Ce que voit l’éducateur sur le terrain
Théo, éducateur comportementaliste et fondateur de Theodoggos, observe régulièrement des cas chez des chiots très jeunes, marqués par leur phase prénatale :
Oui, ça m’arrive, surtout chez des chiots issus d’élevages aux pratiques très douteuses : aucune prise en compte de la génétique, pas de tests de santé, conditions de vie dégradées. C’est aussi quelque chose que je constate chez des chiots venant de sauvetages. Même quand le foyer d’adoption est sain et stable, certains troubles sont visibles très tôt.
L’un des signes fréquents : une tolérance extrêmement faible à la frustration.
Ces chiens ont souvent une tolérance très faible à la frustration. Lorsqu’on met en place des exercices éducatifs qui demandent un peu de contrôle ou de patience, ils ont beaucoup de mal à se poser et à se concentrer.
Même en l'absence d'informations précises sur la gestation, Théo intègre cette période dans son analyse comportementale :
Je propose des hypothèses plausibles en fonction du vécu périnatal probable du chien. Ce contexte permet souvent aux propriétaires de mieux comprendre leur chien, de mettre des mots sur ce qu’ils observent, et de déculpabiliser.
Le comportement observable post-adoption est donc déjà influencé par des déterminants biologiques et contextuels précoces.
Et l'âge d'adoption ?
La réflexion ne s’arrête pas à la naissance. L’âge de cession joue aussi un rôle. En France, l’adoption est autorisée dès 8 semaines. Chez CQFDogs, nous militons pour une adoption adaptative, après sevrage complet, en tenant compte du contexte réel.
Théo nuance :
Le fait de laisser partir les chiots à 12 semaines peut être une excellente chose, à condition que ces semaines soient pleinement mises à profit par l’éleveur pour travailler la socialisation du chiot, son adaptation à différents environnements, sa capacité à rester seul, ses interactions avec l’humain et avec ses congénères.
Mais l’inverse est aussi vrai :
Quand ce travail est absent ou incomplet, notamment dans des contextes ruraux ou peu stimulants, le décalage entre ce que le chiot a vécu jusqu’à 3 mois et ce qu’il découvre ensuite dans un environnement urbain, par exemple, peut créer de vraies difficultés d’adaptation.
Selon lui, la stabilité comportementale s’observe surtout chez les chiens ayant bénéficié à la fois :
d’un travail de fond par l’éleveur durant les premières semaines ;
et d’une compréhension fine, par les adoptants, de leurs besoins spécifiques.
Deux points de vigilance post-adoption
Théo insiste sur deux erreurs fréquentes :
Beaucoup de propriétaires veulent bien faire en exposant leur chiot à un maximum de situations très tôt. Mais si cela se fait sans tenir compte de son état émotionnel, cela peut le surcharger.
Et sur l’apprentissage de la solitude
L’apprentissage de la solitude devrait se faire très progressivement, avec des micro-absences dès le départ : quelques secondes, puis quelques minutes, puis un peu plus.
Conclusion
Les troubles comportementaux ne surgissent pas de nulle part. Ils s’inscrivent dans un continuum, dont la gestation constitue la première phase. Omettre cette réalité, c’est risquer d’intervenir trop tard ou de manière inadaptée. Intégrer l’amont — physiologique, épigénétique, éducatif — permet de comprendre le chien tel qu’il est, non tel qu’on voudrait qu’il soit.
La gestation n’est pas un simple détail biologique. Elle conditionne déjà le profil comportemental du chien à venir.
Nous remercions chaleureusement Théo Baille, éducateur et comportementaliste canin installé à Paris (XIᵉ), pour sa participation. Il accompagne les duos maître‑chien dans la rééducation comportementale et l’éducation bienveillante, en visant une relation harmonieuse et durable. Vous pouvez le contacter via son site internet theodoggos.fr
Références
Braastad B.O. (1998). Effects of prenatal stress on behaviour of offspring of laboratory and farmed mammals. Applied Animal Behaviour Science, 61(2).
Kaiser S. et al. (2003). Prenatal stress reduces social play behavior in juvenile rats. Physiology & Behavior, 84.
Guardini G. et al. (2015). Influence of maternal behavior on the development of puppies. Physiology & Behavior, 151.
Meaney M.J. et al. (2005). Epigenetic programming by maternal behavior. Nature Neuroscience, 6(8).
c'est incroyable de se dire que tout commence meme avant d'êter né!